07 novembre 2008

The Rhetoric of the Financial Crisis

Source : Rationalité Limitée
Depuis quelques temps, une question me revient constamment à l’esprit : quelles seront les conséquences de la crise financière sur la théorie économique et son évolution. Je pense que l’on peut maintenant dire sans exagérer que la crise de 2008 est la plus importante que l’économie mondiale ait connue depuis la “Grande dépression” des années 1930. Concernant cette dernière, le sens commun et la vulgate scientifique voient en elle le triomphe des idées keynésiennes, théoriques comme normatives. Que dira-t-on dans 5, 10, 20 ou 50 ans de la crise de 2008 ?
[...] La situation est très intéressante sur un plan épistémologique parce qu’elle est typique de la difficulté à laquelle les sciences sociales sont confrontées : le fait qu’un évènement historique ne se répète jamais deux fois à l’identique et que par conséquent les propositions théoriques à propos de cet évènement sont en pratique infalsifiables.
[...] Cela ne va pas empêcher l’émergence progressive d’un consensus scientifique qui fait que, dans quelques dizaines d’années, on dira que cette crise a été dû à X ou Y ou qu’elle a donné raison à la théorie Z. Mais ce consensus aura émergé non pas tant pour sa validité scientifique, puisque elle est quasiment impossible à établir, mais par la force rhétorique de ceux qui s’en seront fait les porteurs.

C’est tout à fait le genre de prise de recul dont on a besoin en ce moment, merci!

“Qu’est ce qui me permet (moi ou d’autres) de dire que la crise est d’abord liée [à telle ou telle théorie]? La réponse est : RIEN.”

Oui. Au fonds c’est une conséquence de l’idée que l’économie n’est pas une science empirique. C’est une proposition assez iconoclaste de nos jours.

“Cela ne va pas empêcher l’émergence progressive d’un consensus scientifique.”

C’est probable. De plus, ce consensus est susceptible d’évoluer plus tard, tout comme le livre de Schwartz et Friedman en 1963 a créé un nouveau consensus sur la Grande Dépression.

“ce consensus aura émergé non pas tant pour sa validité scientifique, puisque elle est quasiment impossible à établir [...]”

Ce “quasiment” me laisse songeur. Pourriez-vous élaborer?

Un exemple peut alimenter la réflexion : dans une intervention récente, G.Selgin déclarait “Si l’on essaie d’expliquer la crise actuelle par l’avidité des banquiers, c’est un peu comme si l’on essayait d’expliquer le crash d’un avion par la gravité. C’est vrai mais ça ne nous avance pas beaucoup.”

Réponse de C.H.

@GSF :
Le terme “quasiment” souligne qu’en *théorie* il y a une ou plusieurs explications plus pertinentes que d’autres et que, donc, en principe, il est possible de démêler le vrai du faux. Le problème c’est qu’en pratique, puisqu’il est impossible de mener des tests visant à réfuter les différentes explications concernant la crise financière, on est condamné à rester dans le spéculatif. Progressivement, on va réunir un faisceau de preuves qui tendra à corroborer telle ou telle explication mais l’interprétation même de ces preuves sera en partie fonction de nos préférences théoriques. Cela dit, je ne dis rien de nouveau, des philosophes comme Quine ont depuis longtemps souligné ce problème.

OK je comprends. S’il s’agit d’expliquer la crise on ne peut jamais démêler complètement les différents “facteurs” (même si l’économétrie a un certain mérite ;-)).

Je pensais plutôt à la méthode “obsolète” qui a la faveur des autrichiens - le raisonnement abstrait et l’analyse contrafactuelle. Elle permet bien d’établir la vérité de théories qui ont la forme suivante : “si A alors B (ceteris paribus)”.

C’est une méthode abstraite parce que les prémisses A ne sont pas découverts de façon empirique, et parce que le raisonnement qui va de A à B est purement logique et n’apporte rien qui ne soit déjà dans A. Elle est contrefactuelle, parce qu’elle conduit à des propositions du type : “si je fais ceci, alors ce prix sera plus élevé qu’il n’aurait été autrement”. On compare le cours des événements entre deux histoires fictives.

Une première limite de cette méthode est que tout repose sur la validité des prémisses. Je ne pense pas qu’il soit question de rhétorique ici.

En revanche, il y a deux autres aspects où la rhétorique joue un rôle :

- En pratique, aucun économiste autrichien ne travaille exactement ainsi (par exemple pour l’ABCT). Pourtant, il “raconte” sa théorie “comme si”.

- L’analyse contrefactuelle est intellectuellement intéressante, mais est-elle utile en pratique? Une entreprise a souvent besoin de prévisions, et pas seulement de faire des choix entre deux alternatives. De plus, les économistes autrichiens cèdent parfois à la tentation de dire “voilà LA cause de la crise” alors que leur méthodologie l’interdit.


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