26 novembre 2008

Le problème des retraites (8/40) : pédagogie écrite et orale

Antoine écrit :
J’ai fait quelques essais de pédagogie du système de comptes notionnels hors des pages de ce blog : d’abord en répondant aux interrogations des lecteurs de Libération qui restaient dubitatifs sur le financement en répartition d’un tel système, ensuite en participant à l’émission de France Culture « L’économie en question » de Caroline Broué et Olivier Pastré lundi 24 novembre. J’étais l’invité de l’émission aux côtés de J-C Leduigou, secrétaire général de la CGT et responsable, entre autres, de la question des retraites. Récit d’une première fois en direct à la radio… 

Comme toutes les premières fois, c’est à la fois stressant et un peu excitant. Peur de ne pas être à la hauteur, le trou blanc, la panne… et puis pris dans l’émission, on se laisse prendre par la conversation et le débat. Les journalistes et J-C. Leduigou ont été indulgents avec le petit jeune et au final l’expérience n’a pas été désagréable. Elle m’a surtout permis de rencontrer un responsable d’une grande centrale syndicale et d’essayer de le convaincre de considérer notre proposition.

Sur le fond, J-C. Leduigou n’a pas (encore) été convaincu par notre proposition même s’il semble acquis à la proposition de revoir complètement notre système de retraite. Il partage le diagnostic à l’origine de cette proposition : un système complexe, parsemé d’injustices et d’incertitude sur les droits à la retraite, dont la garantie financière n’est pas assurée et dont certains aspects (comme la revalorisation par les prix) ont des effets pervers encore peu visibles.

A l'inverse son opposition au système de comptes notionnels comme un retour à un « système d’assurance » et comme un système inégalitaire ne m’a pas vraiment convaincu. Son affirmation que nous sommes sorti du système d’assurance vieillesse (et dans un système de « salaire différé ») me semble reposer sur une vision étrange (ou que je ne comprends pas bien) des cotisations retraites : pas vraiment des cotisations (sinon il y a assurance), pas des impôts (elles ouvrent des droits à la retraite)…  Qu’est-ce alors qu’un système de « salaire différé » ? Un système où la retraite dépend du dernier salaire uniquement ? profitant ainsi aux salaires plus élevés et organisant la redistribution des plus pauvres vers les plus riches ? 

Quant à l’accusation récurrente que le système de comptes notionnels est inégalitaire, il repose sur deux erreurs ou malentendus : la première est de croire que le système actuel est le parangon de la redistribution quand il organise de multiples redistributions à l’envers, qui restent cachées à l’oeil du citoyen. La seconde est d’oublier que le système de comptes notionnels repose sur un deuxième pilier de redistribution, financé par l’impôt, qui permet de créditer les comptes de tous ceux qui ont des aléas de carrière ou des salaires faibles tout au long de leur vie. Il n’y a pas de niveau de redistribution qu’on ne puisse répliquer (et a fortiori augmenter) dans un tel système. La seule condition requise est la transparence. 

Pour poursuivre le débat, les lecteurs peuvent aller lire (ou relire) les posts consacrés la retraite sur Ecopublix.

Gu Si Fang écrit :

Bravo pour vos interventions qui étaient pédagogiques et claires (à 30 ans, je dis chapeau!). J'en ai profité pour relire votre étude.


En résumé, j'apprécie beaucoup votre critique du système actuel. Je regrette que vous ne remettiez pas en question le principe de la retraite par répartition et son niveau élevé (25%). Comme c'est une question d'opinon, dont acte. Surtout, il me semble qu'on ne peut pas parler des retraites sans les relier à trois notions élémentaires d'économie : la concurrence, le taux d'intérêt, et la théorie du capital. Voir ci-dessous pour quelques détails.


Vous ne vous focalisez pas sur l’équilibrage des comptes. Vous abordez de façon honnête les vraies questions de fonds, sur laquelle votre analyse me semble juste :

- la dette implicite que constituent les droits à la retraite du système actuel

- le conflit générationnel que cela crée

- l’incertitude engendrée par un système qui est tout sauf sécurisant

- votre critique de la redistribution inverse opaque et bien sûr injuste du régime actuel (pour certains cotisants modestes, ayant eu une faible progression de salaire, ou ayant une espérance de vie relativement courte)

- l’abaissement des plafonds délirants du système actuel (même remarque qu’au point précédent)

- la suppression des régimes d’exception

- au passage : la critique (à laquelle j’adhère à 100%) du paquet fiscal


Dans votre proposition, j'ai aimé :

- la prise en compte des incitations

- la définition et la protection de droits individuels

- la séparation claire entre contribution et redistribution (j'y vois un principe de séparation des pouvoirs, entre d’une part le monopole d’un service public, et d’autre part le pouvoir d’agir en « Robin des bois » ; le but étant d’éviter que le pouvoir de Robin des bois ne tombe aux mains d’intérêts privés ou catégoriels…)

- l’idée que la retraite fait partie du patrimoine de chacun (c’est socialement très important, car un nouvel entrant talentueux dans la société n’a que son travail – et donc son salaire – comme richesse, s’il veut progresser et « bousculer » l’establishment)


Les faiblesses sont à mon avis les suivantes :

- le système unique – « harmonisé » – qui se traduit par l’absence totale de concurrence (le mot concurrence ne figure pas dans l’étude, à mon grand regret)

- l'accréditation du mythe que les marchés financiers n'offrent pas une sécurité suffisante pour nos retraites (vous n'êtes pas seul ;-) alors que c'est la politique monétaire (publique) et les déficits (publics) qui en sont la cause

- le taux de cotisation élevé et non négociable de 25% qui ne se justifie pas sous prétexte de pallier à l’imprévoyance de quelques uns (il y aurait déséquilibre si l'on baissait le taux ou si l'on proposait une clause d'opt-out, mais vous devrier l'aborder franchement et expliquer pourquoi vous êtes contre)

- l’idée du taux de rendement « garanti » par l’Etat (de même que l'Etat ne peut pas offrir des crédits à bas taux, il ne peut pas offrir des placements à rendement élevé)

- la dépendance sur des indices officiels facilement manipulables : espérance de vie, masse salariale, et surtout inflation

- la confusion entre taux d’intérêt et taux de croissance / gains de productivité (erreur grave!)

- un système favorable à l’économie d’endettement, notamment parce que le compte notionnel n'est pas un vrai patrimoine

- l’espoir hélas naïf que tout supplément de cotisations pourrait être capitalisé (pourquoi y aurait-il des suppléments de cotisation volontaires? et si ils sont involontaires il seront en redistribués, cf. le triste sort du FRR)

Réponse de Antoine :

@Gu-si-fang: merci pour vos commentaires positifs. J'essaie de répondre rapidement à quelques unes de vos critiques: 
-l’avantage d’un système unifié et harmonisé c’est de réduire les coûts administratifs. L’avantage de la concurrence c’est de jouer comme pression pour réduire ses coûts. Je pense que dans le cas des retraites publiques et obligatoires les avantages d’un système unique l’emportent sur les avantages de la concurrence. 
– je reviendrais dans un post sur les marchés financiers et la répartition 
– le taux de cotisation actuel dépend non pas du souhait de protéger l’imprévoyance de quelques-uns mais du fait que l’on a fait des promesses par le passé à des générations qui ont cotisé pour leurs aînés : il s’agit d’honorer une dette passée de la même façon que lorsque qu’on rembourse la dette de l’Etat. 
– les indices ne sont pas si facilement manipulables car ils sont forcément publiés et n’importe quel économiste peut les critiquer ; idéalement ils devraient être produit par une institution indépendante .


Commentaire de GSF :

Que pensez-vous de la clause d'opt-out?

J'écarte d'emblée une objection :

Si quelqu'un veut purement et simplement "quitter la Sécu" cela revient à faire porter par les autres cotisants sa part de la dette implicite, ce qui est injuste.

Une clause d'opt-out équitable pourrait prévoir le paiement d'une soulte, par laquelle les assujettis actuels s'émanciperaient du régime obligatoire sans pour autant léser leurs concitoyens. Ceci nécessiterait que la dette implicite soit évaluée publiquement, et de façon indépendante. Ce serait un gros avantage en ces temps où la transparence est à la mode!

Réponse de Antoine :

@Gu si Fang et Anonyme sur la clause d'opt-out: La dette implicite du système de retraite est une dette qui porte sur tous les actifs (pour leurs cotisations futures) envers tous les retraités et tous les actifs (pour leurs cotisations passées). Donc effectivement on pourrait théoriquement calculer la dette implicite nette de chaque actif et leur proposer de verser une soulte remboursant cette dette implicite en l'échange de ne pas recevoir de retraites et de ne plus payer de cotisations. Ce serait une façon de laisser le choix individuel entre un système public en répartition et un système privé en capitalisation. C'est conceptuellement intéressant, car cela mettrait en évidence le coût d'une transition vers la capitalisation: par exemple un jeune actif aujourd'hui devrait au début de sa vie active verser une soulte de disons 400'000 EUR (en empruntant cette somme) et récupérer 25% de son salaire brut de cotisations retraite qu'il devrait utiliser pour rembourser son emprunt. La taxation de ses revenus pour financer la partie redistribution du système de retraite devrait être maintenue. Et une fois qu'il aura fini de rembourser sa soulte, il pourra commencer à accumuler pour sa propre retraite... La transition de la répartition à la capitalisation implique une perte de bien-être de la génération qui effectue la transition. Dans les pays qui ont réalisé une telle transition (Chili), l'Etat a emis de la dette (explicite) pour lisser le poids de la dette implicite du système sur plusieurs génération (et cette dette implicite était bcp plus limitée que dans le cas français).

1 commentaire:

georges lane a dit…

Voici ce qu'aimeraient les prétendus progressistes pour ne rien changer :
"La transition de la répartition à la capitalisation implique une perte de bien-être de la génération qui effectue la transition".

Cela est tout simplement faux.

Ce qui est vrai à l'opposé et jamais évoqué, c'est que le passage de la capitalisation, système naturel, à la répartition, obligation, a permis de voler les réserves de la capitalisation.