23 octobre 2008

Des bulles sans savon?

Source : forum Général d'éconoclaste

Il y a quelques jours je posai une question sur les bulles dans la Chatbox.

Voici quelques variantes de cette question :
* Y a-t-il des bulles d’actifs dont les causes soient clairement non financières?
* Connaît-on un exemple de bulle qui soit due à l’esprit spéculatif et moutonnier des investisseurs, sans “aide” monétaire?
* Le "concours de beauté" de JMK, "ça vaut ce que je penses que tu penses que je penses etc." est-il possible sans la finance?

L'origine de tout ça est la bulle immobilière et la crise des subprimes. Dans la recherche des causes et des remèdes, il y a deux options :

1) Soit on considère que les bulles d'actifs sont inévitables, par exemple parce que la valorisation des actifs est très sensible au "je pense que tu penses que je pense..." (Keynes, Minsky). Cela revient à considérer que l'équilibre intertemporel est fondamentalement instable, gênant... Certaines expériences de Vernon Smith vont (un peu) dans ce sens.
--> Le remède est de changer les règles du marché financier, car les investisseurs se trompent "fatalement"

2) Soit on considère qu'elles sont causées par une expansion monétaire. Je penche plutôt pour cette option. Ce ne sont pas les exemples qui manquent!
--> Le remède est de changer les règles du marché monétaire

SM et C.H. m'ont aimablement suggéré quelques lectures : jeux de coordination, Keynes, JP. Dupuy et André Orléan. Ces auteurs décrivent tous le phénomène (spécularité, auto-référence, concours de beauté). Mais ils ne répondent pas à la question du rôle de la monnaie.

A part en laboratoire, connaît-on un seul exemple réel de bulle d'actifs (failure to coordinate expectations, pour parler poliment) où la monnaie n'a pas joué un rôle prépondérant?

Réaction de henriparisien :
Vous partez du principe que les bulles sont nocives.

Il me semble que ce point devrait quand même être validé avant de vouloir les réduire où les supprimer.

Les deux dernières bulles – Internet et les Sub primes – ont permis, pour la première de fiancer un nouveau secteur économique et pour la deuxième des millions de logement.

Ce financement n’est peut-être pas optimum. Il s’est traduit entre autre par des pertes en bout de chaine. Mais si on veut comptabiliser les pertes, il faut aussi comptabiliser les gains. Et ceux-ci sont très importants.

L’un des gros avantages des bulles – ou plutôt des mécanismes qui favorisent l’apparition des bulles – c’est la possibilité de concentrer rapidement des capitaux importants sur des marchés assez étroit et par là d’accélérer considérablement la croissance de ces activités.

Si on considère que l’éclatement des bulles est nocif – et même cela reste à démontrer – il faudrait plutôt rechercher des mécanismes permettant d’atténuer les effets de cet éclatement.
@ henriparisien, merci pour votre réponse

"Vous partez du principe que les bulles sont nocives."

Oui. En tous cas, je ne vois rien de positif si on accepte une définition des bulles du genre : hausse très excessive des prix, généralement suivie d'une chute, qui sont le signe que des millions d'acteurs ont simultanément commis une erreur de prévision dans leurs décisions économiques.

F.Bastiat décrit en long et en large l'erreur de la "vitre cassée" dans "Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas". On voit l'activité générée par les excès d'investissement de la bulle (le remplacement de la vitre crée une activité visible). Mais on ne voit pas les activités qui auraient eu lieu si ces investissements avaient été dirigés ailleurs (ce qu'on aurait pu faire de plus utile avec l'argent de la vitre est invisible, puisque non réalisé).

Le boom d'Internet et de l'immobilier ont cassé des millions de vitres. Ce que je veux dire par là, c'est qu'une part du capital a été investi inutilement car il n'y avait pas de demande des consommateurs en face, en tous cas pas à cette hauteur. Par exemple, 75% des fibres optiques longue distance posées en 2000 sont toujours "noires". Et en ce moment, des groupes d'acheteurs potentiels visitent en bus des maisons fantômes... Une bulle est donc un authentique gaspillage, même si il y a des vitriers qui s'enrichissent au passage.

Mais si on revient à la question du post : où est l'exemple de bulle spéculative non monétaire?

Réaction d'éconoclaste-Alexandre :
Je vous conseille cette lecture :

[www.amazon.fr]

C'est assez journalistique, un peu frustrant parfois, mais montre les mécanismes d'apparition des bulles avec plein d'exemples, et leurs effets. La thèse de l'auteur, c'est qu'elles sont des périodes d'excès mais cet excès est bon, parce qu'il met en place des infrastructures et des institutions utiles à long terme. Comme exemples de bulles "non monétaires", on pourrait citer celle des chemins de fer aux USA au 19ème, ou du télégraphe à la même époque.
"Pop!" : ça irait donc dans le sens de henriparisien. Le livre n'est pas cher en plus, excellent!

Merci pour les exemples du chemin de fer et du télégraphe. Il faut être prudent sur le premier. Lorsque l'automobile est arrivée, les chemins de fer ont senti le vent tourner et ont obtenu différentes sortes de monopoles et de subventions. Certains mauvais investissements n'avaient peut-être pas d'autre finalité que d'obtenir ces subventions.

Réaction de AJC :
Les bulles existent depuis un bail...

L'exemple de la Tulipomanie en Hollande au XVIIème...
[fr.wikipedia.org]
La tulipmania est en effet un bon candidat, mais cette version reste soumise à caution :
[ideas.repec.org]
[www.mises.org]
[www.ft.com]

et bien sûr :
[econoclaste.org.free.fr]
;-)

Puis, plus tard :
"Systemic Crises and Growth" sur VoxEU
[www.voxeu.org]

Il y a beaucoup de choses justes dans cet article, mais l'erreur est de conclure qu'il y aurait un choix à faire entre :
- une finance dérégulée instable et une croissance élevée d'un côté,
- ou bien une finance réglementée stable et une croissance faible de l'autre,
comme s'il était impossible d'avoir une finance dynamique ET stable.

A regarder l'histoire des bulles et les statistiques correspondantes sans aucune théorie du cycle économique, on finit par tomber dans ce genre de recommandation : "d'après ce que je vois il n'y aurait pas de croissance sans bulles, donc acceptons les bulles si l'on veut la croissance"...

Pas besoin de faire de l'économie pour ça : c'est l'idée centrale de "Pop! Why bubbles are great for the economy". Un préjugé sous-jacent, qui remonte au moins à Keynes, est que les crises financières sont dans la nature du système. C'est pas d'chance! Donc il faut les stabiliser on n'a pas le choix ;-)

A moins que je sois passé à côté d'un truc, je n'ai vu qu'une seule théorie des cycles qui tienne la route, et c'est la théorie autrichienne du cycle économique. Elle permet d'attribuer les causes à notre régime de monnaie fiduciaire, et de chercher les bons remèdes, au lieu de soigner les symptômes à coups de centaines de milliards. Toutes les crises étudiées par les auteurs se situent entre 1960 et 2000, donc sous un régime de monnaie fiduciaire (on va pas chipoter pour les années 1960), et nous y sommes encore. D'après la théorie misésienne on peut prévoir qu'il y aura encore des bulles et des krachs à répétition.

Réaction d'éconoclaste-Alexandre :
"A moins que je sois passé à côté d'un truc, je n'ai vu qu'une seule théorie des cycles qui tienne la route, et c'est la théorie autrichienne du cycle économique."

Oui, vous êtes passé à côté d'un truc. Outre toute l'analyse économique des fluctuations depuis au bas mot 70 ans, vous oubliez que les théories du cycle sont de médiocres outils pour étudier la croissance à long terme.
@ Alexandre

Pour être constructif, j'aimerais bien voir :

1) une argumentation un peu plus structurée contre l'ABCT que simplement "vous n'aviez qu'à lire tous ces autres livres et articles" (sachant que j'en suis à un certain nombre sur le sujet et me plonge actuellement dans le T.Cowen)

2) une contre-proposition : les cycles réels, autre? (on a déjà parlé de Minsky)

3) et si vous étiez vraiment gentil, vous nous feriez avec SM un petit état des lieux sur les théories du cycle. Parce que si on devait se contenter de Bernard Rosier [www.amazon.fr] ...

Mais je suis conscient que les journées n'ont que 24 heures et tout et tout ;-)

Réaction de Heu... :
Les théories dites "du cycle" portent quand même mal leur nom je trouve. L'idée de cycle sous-entend qu'il y aurait une périodocité, une régularité, ce qui n'est pas véritablement constaté empiriquement. On devrait plutôt parler de "théories des vagues" ou "théories des chocs".

Cette remarque sémantique faîte, sans être un connaisseur, je trouve que la faiblesse de l'ABCT est son côté a-institutionnel, quoique se soit un reproche que l'on peut faire à a peu près toutes les théories du cycle je pense. Son principal problème est que le mécanisme qu'elle décrit est bien trop générique et général pour être vraiment utile et testable (je sais, c'est un gros mot pour les autrichiens ;-) ). Je veux dire par là, lier l'occurence de cycle à une expansion monétaire préalable engendrant un "mal-investissement" est intéressant mais insuffisant car il faut autre chose pour comprendre le passage expansion monétaire --> mal-investissement. La théorie ABCT n'est pas satisfaisante sur ce point car le mécanisme qu'elle décrit est beaucoup trop générique et surtout pas logiquement inévitable. Le truc, c'est qu'il faudrait au préalable montrer que TOUTES les expansions monétaires se sont traduites par du mal-investissement et un mouvement cyclique. Si on arrive à montrer qu'il y a au moins une exception à cette règle, c'est qu'alors il y a fatalement d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Et c'est là qu'il faut regarder le rôle des institutions. Il faut aussi remarquer que les mouvements "cycliques" ne datent pas des années 60 et du système monétaire moderne.

En disant tout ça, j'ai a l'esprit un article du post-keynésien Paul Davidson qui en février décrivait l'enchainement des évènements actuels. Davidson considère que l'on est pas dans un "Minsky moment" et surtout insiste sur un facteur institutionnel clé dans cette crise : l'abrogation en 1999 du Glass-Steagall Act. Avant cette abrogation, les actifs issus des crédits hypothécaires auraient été légalement non -liquides, ce qui aurait empêché la propagation de la crise. Peut-être que la crise se serait manifestée autrement, mais en tout cas cela prouve que l'on ne peut ignorer le facteur institutionnel.

Je ferai peut-être un billet là dessus dans les jours prochains.

Mon blog : rationalitelimitee.wordpress.fr
Réaction d'éconoclaste-Alexandre :
Plusieurs choses.

Oui, là, j'ai pas trop le temps. Donc désolé si je fais des posts courts et parfois abrupts.

Entièrement d'accord avec CH : parler de "cycles" ne tient pas. Les économies fluctuent. On pourrait ajouter que les "crises" ne sont pas toutes monétaires et financières.

En matière d'explication des fluctuations, vous pourrez trouver le gros bloc des analyses keynésiennes, et les théories du cycle réel. Le fait d'oublier que des chocs sur la productivité puissent produire des fluctuations est absente de l'ABCT, ce qui est un comble. Concernant les analyses keynésiennes, elles ne font pas naître les crises dans une sorte d'instabilité congénitale de la finance, mais dans les fluctuations de la demande globale, qui peuvent avoir des tas de causes. J'ajouterai pour faire bon poids la version Fisher Black, citée par Cowen hier dans le NYT, aussi féconde qu'inexploitée.

L'article incriminé par GSF explique qu'une économie en croissance connaîtra nécessairement des fluctuations, se rapprochant donc d'une explication "cycles réels"; mais des modèles de croissance, comme le modèle néo-schumpeterien d'Aghion et Howitt, reviennent à ce genre d'idées. EN tous les cas, faire une critique de ce papier fondée uniquement sur des théories des fluctuations risque de conduire à passer à côté du problème.
Cet article de Robert Murphy (rien à voir avec la "loi") arrive à point nommé!
[mises.org]

Il traite de l'incompréhension la plus fréquente concernant l'ABCT, notamment pour les macroéconomistes : la confusion entre surinvestissement et malinvestissement; le fait que la baisse des taux nominaux semble (ce n'est qu'une apparence) encourager à la fois les investissements ET la consommation. Une lecture attentive est nécessaire, et il est recommandé de consulter les slides de Garrison car Murphy n'a pas la place de tout développer dans un article. Une des faiblesses de l'ABCT est sa complexité... Réfs [www.auburn.edu] et [mises.org]

Concernant les autres objections, soulevées par Heu... et Alexandre, en bref :
- l'ABCT explique bien la récurrence des cycles (pour Ricardo et l'ABCT, chaque cycle est lié au précédent, tandis que chez Keynes, pour les monétaristes ou avec les cycles réels chaque cycle est un événement indépendant)
- l'ABCT ne prend pas en compte les institutions particulières de chaque époque et a certainement besoin d'être contextualisée (par exemple quid d'une déflation laissez-fairiste en présence d'un salaire minimum?)
- les Autrichiens ne disent pas que toutes les crises sont monétaires, mais pensent que toutes les crises généralisées le sont (cluster of errors)
- la macro autrichienne n'est pas une "théorie du tout" mais elle présente l'avantage d'être cohérente avec la micro autrichienne (pour faire une analogie douteuse : en physique, la relativité générale et la méca Q sont contradictoires; en macro standard, c'est un peu pareil, et j'ai l'impression que c'est plutôt la macro qui est en difficulté)

Si j'y arrive, j'essaierai de faire un tableau avec les différentes théories du cycle en colonnes, et en lignes les observations empiriques qu'elles expliquent / n'expliquent pas (la récurrence, la fluctuation des secteurs des biens de consommation / biens de production, le chômage, etc.)

Comme disait BB : "Je n'ai besoin de personne, surtout pas Davidsonne... sonne..."
Non, sérieusement, merci pour la référence à Paul Davidson que je ne connaissais pas!



Aucun commentaire: