21 janvier 2008

Crise du logement

Quelles sont les lois qui raréfient l'offre de logement en France ?

La liste est longue et ancienne :

- plafonnement des loyers par diverses méthodes plus ou moins « violentes » (principalement les lois de 1914 puis de 1948 puis Quillot 1982) ce qui a pour effet de baisser la rentabilité du locatif et donc de réduire mécaniquement l'investissement

- la protection obligatoire des locataires, même indélicats (toujours Quillot 1982) qui a les mêmes effets que le plafonnement des loyers

- les normes (surface, sanitaires, phoniques, thermiques) qui augmentent le coût et interdisent de louer une chambre de bonne de moins de 9m² mais autorisent de dormir dans une tente de 2m² :-(

- le secteur social qui représente déjà 1 résidence principale sur 6, et qui continue de croître « pour combler le retard » (loi SRU de 2000) alors qu'il sera toujours structurellement en pénurie (puisqu'il doit être loué en-dessous du marché, sinon il ne serait pas social)

- et surtout (surtout) la stérilisation du foncier (code de l'urbanisme, PLU, autorisations préfectorales, permis de construire etc.) qui raréfie inutilement cette ressource précieuse, contribuant largement à la formation de bulles spéculatives locales

A côté de tout cela, on trouve une succession de lois « incitatives » (Périssol, Robien, Besson, Borloo) qui essaient de contrecarrer les effets précédents. Mais, dira-t-on, on n'empêche pas la construction, on l'encourage même par ces incitations fiscales! N'est-ce pas un contre-exemple flagrant? Que nenni! Grâce à ces subventions, nous réussissons l'exploit d'avoir un surinvestissement à certains endroits et sous-investissement ailleurs. Il est même parfaitement concevable d'être en situation de pénurie tout en ayant un surinvestissement global. En effet, le nombre de logements n'est pas le seul critère. Si les logements construits ne répondent pas aux besoins (notamment de localisation) des clients, leur prix de vente sera inférieur à leur coût de construction (subvention comprise). C'est-à-dire qu'on aura beaucoup investi, mais une partie de ces investissements sera perdue, d'où la pénurie.

Dans le genre pire que nous, on peut regarder nos voisins d'outre-Manche. Baladez-vous autour de Londres sur Google Maps (option satellite) et vous verrez de nombreuses zones pavillonnaires relativement peu denses. Une petite maison dans un bon quartier (Kew) à 25km de la City peut se louer 3000 euros par mois. Comme par hasard, l'immobilier est un des rares secteurs à n’avoir pas été déréglementé dans les années 1980. Le Town and Country Planning Act (sic) instaure des ceintures vertes autour des grands villes et empêche la construction d'immeubles plus denses. Or il suffirait de relativement peu de constructions pour faire baisser fortement les prix (faible élasticité de la demande).

Quel est l'effet de ces lois? Elles créent de la pénurie : nous avons moins de m², moins bien situés et moins beaux que ce que nous devrions avoir. Et, par l'intermédiaire du marché immobilier, elles effectuent un transfert de richesses allant des nouveaux entrants vers les déjà-propriétaires. Comme pour les licences de taxis, par exemple.

Pourtant, l'offre semble actuellement assez abondante, puisque les promoteurs sont en train de réduire leur production. Et les invendus ne sont pas que dans les petites villes où il n'y avait pas de marché au départ...

Dans certains zones hyper-demandées et hyper-contraintes, les prix se sont envolés sous l'effet de la baisse des taux en 2003 et de la faible élasticité de la demande. Nous assistons donc à l'éclatement de ces bulles. Même aux US, la bulle est localisée. Vu de loin on a l'impression que tout le marché s'est emballé, mais c'est loin d'être le cas.

L'éclatement de ces bulles révèle donc la vraie nature de certains mauvais investissements. Quand les coûts de construction ont été élevés et que le marché se retourne, les promoteurs ne savent pas encore combien ils vont perdre d'argent. Plutôt que de baisser massivement leurs prix pour écouler le stock, ils baissent petit à petit en espérant trouver l'équilibre. En attendant, certains programmes restent avec des invendus sur les bras.

« moins de m² », je veux bien; mais « moins bien situés et moins beaux », ça reste à prouver. Nous payons la « muséification » de Paris, il me semble. On n'a rien sans rien. Si vous déréglementez, vous aurez des grandes tours au-dessus de Saint-Germain-des-Prés.

Je constate souvent qu'il est difficile de convaincre mes amis de déréglementer complètement la construction à Paris. Essayons quand même! En général, leurs certitudes se lézardent dès qu'on aborde deux points :

1) Les programmes de constructions planifiés par la collectivité sont laids. Et si vous pensez que c'est de l'histoire ancienne, jetez donc un coup d'oeil aux programmes en cours.

2) Si on regarde les incitations dans les deux cas de figure, elles sont totalement différentes. Le programme public de logements sociaux doit faire du quantitatif sous contrainte budgétaire. C'est en gros le cahier des charges qui est donné aux architectes. La valorisation patrimoniale n'est pas un critère important, car les HLM sont rarement conçus pour être vendus.

Le promoteur, à l'inverse, doit faire un produit qui maximise peu ou prou son profit. Pour cela, il vaut mieux qu'il soit beau et perçu comme un bon placement patrimonial à long terme, car c'est un critère important pour les acheteurs.

La différence entre programme public et promoteur privé, c'est donc que le promoteur a une incitation à construire quelque chose d'assez beau pour pouvoir le vendre. La meilleure façon de faire monter la qualité esthétique des constructions privées, c'est la concurrence entre promoteurs, et non la réglementation des façades. Personne n'a réglementé le design de l'iPhone, que je sache!

Evidemment, si une commune ou un arrondissement était la seule à libéraliser son marché immobilier, alors que tout le reste du marché reste sous contrainte, on y verrait pousser les tours comme des champignons. Il faut donc que tout soit déréglementé simultanément (via l'abrogation des lois en question) afin qu'on puisse tendre vers un équilibre entre la densité des logements et leurs qualités esthétiques. Je ne pense pas que la densité augmenterait beaucoup. Encore une fois : la demande est très peu élastique, c'est-à-dire que 1% de logements en plus feraient baisser les prix de beaucoup plus que 1%.


[Ajout]

C'est vrai pour les maisons individuelles, qui reflêtent l'ame de leur propriétaire. Mais pour les immeubles collectifs, tout indique au contraire que pour les propriétaires, ce qui compte, ce n'est pas ce qui se voit, c'est ce qui ne se voit pas (l'intérieur, auquel toutes les ressources sont réservées). Il suffit de penser aux réglementations forçant les propriétaires à entretenir leurs façades. Si on est dans une ville qui a des immeubles avec cour intérieure, lorsqu'on rentre et qu'on voit l'intérieur qui n'est pas soumis à réglementation, c'est le choc : on croirait voir un taudis alors qu'à l'extérieur c'est un bel immeuble bourgeois avec des médecins, des avocats... La concurrence pousserait les promoteurs à minimiser les couts qui sont peu importants pour leurs clients. Soit dit en passant, la bourgeoisie a toujours réglementé la construction, dès le moyen-âge (voir les magnifiques villes de l'Est de la France : ce n'est pas spontanément que toutes les maisons ont le même style 'typique', les propriétaires étaient contraints et forcés). Et aux USA, j'ai lu que le même genre de marché profondément réglementé rêgne dans tous les quartiers huppés sans même parler des quartiers fermés qui sont de véritables entreprises où tout ce qui concerne l'apparence est contrôlé par le rêglement intérieur.


Dès qu'on voit un un résultat qui est bien foutu, beau, efficace, etc. on ne peut s'empêcher de penser qu'il a été pensé au départ. L'idée que quelque chose d'organisé puisse surgir du désordre du marché nous dépasse. C'est le syndrôme de l'intelligent design.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je t'invite à aller faire un tour dans les grandes métropoles asiatiques où le marché est dérèglementé : Jakarta, Manille...
Tu y observeras un urbanisme anarchique, un paysage urbain destructuré et globalement très laid à l'aune de nos critères européens.
Imposer un cahier des charges stricte aux promoteurs peut sembler contraignant à court terme. Mais l'unité architecturale qui en résulte valorise à long terme le patrimoine immo créé, car chaque immeuble bénéficie de la qualité des autres. Une variante de la théorie des externalités.