13 juin 2007

Politique familiale (suite)

Après un premier billet sur le sujet, je vous livre deux questions, l'une économique, l'autre politique, au sujet des allocations familiales.

1) Qu'est-ce qui justifie le fait d'avoir une politique familiale?

Pour répondre, essayons d'appliquer la méthode de Henry Hazlitt dans "L'économie politique en une leçon". Comme l'indique son titre, il y a une seule leçon à retenir avant toutes les autres :

L'art de la politique économique consiste à ne pas considérer uniquement l'aspect immédiat d'un problème ou d'un acte, mais à envisager ses effets plus lointains ; il consiste essentiellement à considérer les conséquences que cette politique peut avoir, non seulement sur un groupe d'hommes ou d'intérêts donnés, mais sur tous les groupes existants.

Les femmes avec qui j'en ai parlé considèrent souvent que s'il n'y avait pas de politique familiale, une mère rencontrerait des difficultés (presque) insurmontables pour avoir des enfants. Si on liste quelques uns des problèmes en question, sans être exhaustif, on peut par exemple citer : le coût de la garde et de l'éducation d'un enfant, l'arbitrage vie familiale / carrière professionnelle, les risques en tous genres (divorce, chômage, handicap etc). La politique familiale, en déchargeant les parents - et en particulier les femmes - de ces difficultés, est censée leur permettre d'améliorer leur bien-être et d'avoir un nombre d'enfants plus proche de ce qu'elles désirent.

La politique familiale donne donc l'impression qu'elle fait disparaître les coûts liés à la décision d'avoir un enfant. Il n'en est rien évidemment, puisqu'elle consiste uniquement à reporter ce coût sur d'autres gens (on voit ici l'intérêt de la règle de Hazlitt). Or nos ressources ne tombent pas du ciel, elles doivent être créées, et si nous travaillons c'est justement pour produire ce dont nous avons besoin. La politique familiale en tant que telle ne crée rien, ne produit rien : elle déplace juste les ressources créées par d'autres. En prenant un peu à celui qui produit, pour donner à un autre, cette politique diminue l'incitation à produire. Pour donner un ordre de grandeur, la politique familiale pèse peut-être 3% du PIB, à comparer aux trois fonctions régaliennes police + justice + armée qui représentent au total un coût de 4%. Cette comparaison permet donc de se rendre compte que la politique familiale coûte cher, très cher! Si le fait d'avoir des enfants est un problème de ressources - temps, argent, etc - elle ne résout en rien ce problème puisqu'elle déplace les ressources existantes, mais elle n'en crée pas.

Quand je parle du "coût" d'avoir un enfant, c'est dans un sens très large. Il ne s'agit pas uniquement de l'aspect financier, car cela serait très réducteur pour une décision comme celle d'avoir un enfant. Au contraire, il faut entendre par "coût" : tout ce qui, si l'on prend la décision d'avoir un enfant, peut constituer un inconvénient, une gêne, un effort, un désagrément. Ce "coût" n'est donc pas quelque chose de mesurable objectivement - surtout en euros - car il correspond à la perception qu'en a la personne qui prend la décision. Seul un individu peut apprécier le "coût" subjectif d'avoir un enfant. Enfin, ce "coût" n'est pas certain : comme toute action humaine comporte des risques, le "coût" comprend une part d'incertitude, qui est bien prise en compte dans la perception de la mère. Ces trois caractéristiques : subjectif, non quantifiable, incertain, s'appliquent aussi au "gain" ou "plaisir" d'avoir un enfant, et même à toute action humaine (cf. L. von Mises).

Qu'est-ce que cela nous apprend au sujet de la mère qui veut avoir un enfant? D'abord qu'une politique décidée de façon bureaucratique est tout à fait inadaptée pour prendre en compte sa perception subjective de la situation. Pour certaines mères, avoir un enfant est une promenade de santé. Dans d'autres (rares) cas, la simple évocation de l'idée est un calvaire. L'administration est incapable de prendre en compte ces distinctions. Ce que l'administration sait faire c'est distribuer de l'argent, à des endroits plus ou moins utiles, et en quantité plus ou moins adaptée. Il n'y a aucun moyen de savoir si les bénéfices pour la mère compense les sacrifices consentis par ceux à qui on a pris cet argent. Il en résulte un gaspillage, un appauvrissement. Cet argument est très général et repose sur un principe simple : la distinction entre un échange volontaire - créateur de valeur subjective - et un transfert contraint et forcé.

Il y a aussi des choses très intéressantes à dire sur l'arbitrage vie familiale / vie professionnelle. Un enfant demande qu'on s'occupe de lui, qu'on le materne, qu'on le nourrisse, qu'on l'éduque, etc. Ce sont des activités comme les autres. Certaines femmes - et quelques hommes - exercent d'ailleurs ces activités de façon professionnelle : profs, puéricultrices, pédiatres, etc. Toutes ces activités sont consommatrices d'une des ressources les plus rares qui soient : le temps! Que cela nous plaise ou non, il faudra donc consacrer du temps à l'enfant. Deux solutions sont possibles : on peut le faire soi-même et arrêter temporairement de travailler, ou bien on peut continuer à travailler et payer quelqu'un pour le faire à notre place, comme c'était la coutume avec les nourrices au XIXème siècle. Je ne porte aucun jugement de valeur à ce sujet. Mais l'idée que l'on puisse faire l'économie de ce temps est une illusion. On le paiera soit sur son propre temps, soit sur son salaire. C'est là que réside le choix vie professionnelle / vie familiale. Il est de la responsabilité des parents de faire ce choix et d'en assumer les conséquences.

Evidemment, si on fait miroiter à une femme la possibilité d'avoir les deux, c'est-à-dire de consacrer du temps à son enfant sans aucune conséquence sur son salaire actuel et futur, elle dira OUI! tout de suite. Mais cela signifie juste qu'une autre femme - ou un homme - aura été privée de son temps à sa place. Qui peut imaginer une société où il serait possible de prendre des décisions en faisant supporter les inconvénients par les autres et en gardant les avantages pour soi? C'est pourquoi la politique familiale est dangereuse sur deux plans : elle consiste à sacrifier un individu au bénéfice d'un autre, et de plus elle rend partiellement irresponsable la personne qui prend la décision, ce qui augmente le nombre de mauvaises décisions qui sont prises. Cela aboutit notamment à avoir plus d'enfants que ce que les gens feraient spontanément si il n'y avait pas de politique familiale et qu'ils étaient responsables de leur décision. Ce reproche s'adresse à toute politique qui consiste à collectiviser les coûts alors que les bénéfices restent individualisés.

Reste la question des risques. Face aux incertitudes de la vie, il est parfois difficile de se décider à avoir un enfant. Qui sait si le couple qu'on a formé sera solide? Si d'autres difficultés ne feront pas tomber par terre les plans qu'on a échafaudés? C'est une des aptitudes les plus extraordinaires de l'esprit humain que d'être capable de tenir compte de l'incertitude et d'imaginer ces événements futurs avant de prendre une décision. Quelques esprits créatifs ont imaginé une solution : l'assurance contre les risques imprévisibles. Il n'y a rien de plus simple que de prendre une assurance au moment où l'on conçoit un enfant pour se prémunir contre les problèmes les plus graves. On le fait bien quand on prend une assurance neige pour la journée. Si on assure ses jambes au ski, pourquoi ne pourrait-on pas assurer un enfant à naître? C'est techniquement possible, et je suis sûr que certains assureurs privés y ont déjà pensé. Si il y a une demande, il y a un marché.

Cependant, certains risquent ne seront pas assurables, ou plus difficilement, car ils dépendent largement des décisions de l'assuré. On pourrait concevoir une assurance-divorce par exemple, mais l'assureur devrait prendre toutes sortes de précautions pour éviter ce qu'on appelle l'aléa moral. A cause de la politique familiale et sociale, l'assurance-divorce existe en partie, elle est obligatoire et fournie par l'Etat. En cas de divorce, la sécurité sociale, le fisc, et d'autres administrations, nous offrent toutes sortes de compensations financières. Du fait de cette politique sociale et familiale, l'aléa moral joue donc à plein, c'est-à-dire qu'en abaissant le coût du divorce, ou plus exactement en faisant supporter une partie de ce coût par les autres, et en empêchant l'assureur de sélectionner les risques, on incite plus de gens à divorcer.

J'ai essayé de démontrer que la politique familiale est une mauvaise idée - je devrais dire une fausse bonne idée. En résumé, mes arguments sont les suivants :

- la politique familiale ne résout pas le problème du manque de ressources, et peut même l'aggraver en diminuant les incitations à produire,

- elle ne permet pas de comparer l'utilité pour les bénéficiaires avec le coût pour les payeurs,

- en occultant la question de l'arbitrage vie professionnelle / vie familiale elle rend les parents partiellement irresponsables car elle reporte sur les autres une partie du coût de la décision d'avoir un enfant,

- elle n'apporte rien de plus qu'une assurance privée pour la gestion des risques, et comme elle est obligatoire elle accentue l'aléa moral

Mais certaines personnes sont pauvres, et ne pourraient pas se payer toutes ces prestations si la politique familiale n'existait pas. Vraiment? Si c'était le cas, on verrait donc les familles riches avoir plus d'enfants que les familles pauvres. Or c'est l'inverse qui se produit. Il faut rejeter toute explication du style "les familles riches sont mieux éduquées et savent contrôler leurs naissances". En disant cela, on est non seulement méprisant à l'égard des pauvres, mais on passe totalement à côté de la vraie explication. En l'occurrence, l'explication est que le coût d'un enfant est plus élevé pour un riche que pour un pauvre. Il s'agit du coût d'opportunité qui comprend toutes les alternatives auxquelles on renonce chaque fois que l'on fait un choix. En faisant un enfant, un riche renonce à un petit peu de carrière (très bien payée), un petit peu de loisirs (luxueux) etc. Le coût d'opportunité pour une mère pauvre est plus faible, car rester à la maison quelques mois pour s'occuper d'un enfant peut lui procurer des satisfactions qui valent plus à ses yeux que son petit salaire. En faisant un enfant, elle ne renonce pas à une carrière de cadre sup dans une banque, mais à un job de caissière ou de femme de ménage.

Mais, dira-t-on, certaines personnes sont trop pauvres pour se payer ce dont elles ont besoin. Certes, mais cela n'a rien à voir avec le fait d'avoir des enfants. Un pauvre est pauvre pour tout ce dont il a envie, et pas seulement les enfants. De plus, on pourrait montrer que ce sont très souvent les interventions de l'Etat qui rendent les gens pauvres. Plutôt que faire la charité - surtout via la politique familiale qui n'est pas faite pour cela (mais pourquoi est-elle faite, d'ailleurs?) - l'Etat aurait une contribution plus efficace s'il commençait par supprimer ses nombreuses interventions.

Cela donne un argument supplémentaire :
- l'Etat aggrave considérablement la pauvreté, il ne faut pas compter sur lui pour la diminuer, surtout pas via la politique familiale qui n'a rien à voir avec la pauvreté.

Bref, pour peu qu'on prenne le temps d'y réfléchir, il y a des arguments très forts contre la politique familiale. Selon moi elle est parfois inutile, parfois carrément néfaste, en tous cas jamais utile. Vous pouvez donc comprendre que personnellement j'y sois opposé. Mais peut-être que je ne vous ai pas convaincu. Après tout, vous avez parfaitement le droit d'avoir un avis différent du mien puisque chacun est libre de ses opinions. On aboutit alors à cette situation très fréquente où il y a des opinions variées et incompatibles sur un sujet.

Ma deuxième question est donc la suivante :

2) Qu'est-ce qui justifie que la majorité m'impose une politique familiale alors que je suis contre?

Nous sommes dans une situation où une majorité de gens sont favorables à la politique familiale. Les arguments économiques que j'ai donné en 1) n'y changent rien : soit les gens ne les connaissent pas, soit ils les réfutent. Ils souhaitent donc payer toute leur vie une cotisation à un "service public de la politique familiale" et recevoir des prestations si et quand ils en ont besoin. Même certaines personnes âgées qui n'auront plus d'enfants sont d'accord pour continuer à cotiser. De quel droit pourrais-je les empêcher de faire ce qu'ils veulent, alors que je défends la liberté individuelle? Bonne question qui nous amène sur le terrain de la philosophie politique.

Lorsqu'on les connaît mal, on peut avoir l'impression que les libéraux sont contre l'action collective et qu'ils privilégient l'individualisme et l'égoïsme. En un sens, c'est vrai. Mais justement, la plupart des individus souhaitent s'associer en groupes, parce qu'ils considèrent qu'il est de leur intérêt de le faire. Cette situation n'est pas l'exception, mais la règle! Cela fait partie de la nature humaine : nous aimons vivre et agir en groupe, pour des raisons affectives, ou des raisons d'efficacité pour produire ce dont nous avons besoin, ou pour toute autre raison. Il y a toutes sortes de groupes : l'entreprise, le club sportif, la famille, l'association, la mutuelle, la coopérative. Concernant la politique familiale, on pourrait par exemple imaginer que les personnes qui le souhaitent adhèrent à une assurance mutuelle qui leur fournirait les prestations familiales dont ils ont envie. Avec 80% de la population comme clients, ces mutuelles seraient florissantes.

Mais on répondra qu'il est trop difficile de créer une mutelle, et que cela n'arrivera jamais sans l'impulsion et la coordination de l'Etat. Pourtant, les mutuelles françaises ont été créées par des initiatives privées. En fait, la plupart des associations, entreprises, clubs qui existent sont des créations spontanées où l'Etat n'est pas intervenu. Le mode d'intervention de la politique familiale est différent : c'est l'action par la contrainte de l'Etat. Evidemment, il est très facile de créer une "mutuelle" si elle est autorisée à prélever ses cotisations par la force; c'est ce que fait l'Etat!

Le point important ici est qu'il ne faut donc pas confondre action collective et Etat. La plupart des entreprises collectives ont été menées de façon volontaire sans aucune contrainte. Mais les hommes politiques justifient souvent leurs actions en expliquant qu'il y a besoin d'une action collective pour atteindre tel ou tel objectif. Ils jouent ensuite sur la confusion entre collectif et politique, et affirment que leur action est indispensable. D'associations libres et volontaires on passe à des associations forcées dont l'individu est prisonnier puisqu'il est impossible de se soustraire aux décisions de l'Etat.

Tocqueville avait déjà identifié ce risque d'oppression de l'individu par les institutions politiques, qu'il appelait "tyrannie de la majorité". Un débat très ancien en philosophie politique consiste à se demander jusqu'où l'Etat peut aller dans la contrainte. Peut-il nous interdire d'agir comme bon nous semble lorsque nous sommes chez nous? Peut-il nous forcer à consommer tel ou tel produit, ou nous empêcher de consommer tel autre? Peut-il obliger les producteurs à respecter des normes qui ne sont pas demandées par les consommateurs? Peut-il décider de la façon dont nos enfants doivent être éduqués, au point qu'il détienne le quasi-monopole de l'éducation et de l'activité intellectuelle? Dans la plupart des démocraties occidentales, on n'a pas assez réfléchi à ces questions avant de mettre en place les institutions. On s'est contenté de remplacer la décision politique d'un roi par la décision politique d'un ou plusieurs élus. Mais le domaine d'intervention de l'Etat a trop peu de limites constitutionnelles. En Angleterre et aux Etats-Unis, c'est mieux puisque les Bills of rights, l'Habeas Corpus et les Amendments ont mis des barrières à l'action de l'Etat. Malgré cela, on voit que la tendance des institutions démocratiques, partout dans le monde, est à l'inflation de l'Etat, même dans les pays anglo-saxons.

Le petit graphique ci-dessous donne un indicateur parmi d'autres pour s'en rendre compte :

La dépense publique n'est qu'une partie du problème. Même sur les dépenses dites "privées", le contrôle de l'Etat est omniprésent : réglementations, contrôle des prix, incitations fiscales, normes, contrôles, etc. On pourrait croire que c'est un bon mécanisme : on vote, on décide "démocratiquement" de ce qui est "bon" et on applique la règle. Mais on sait aujourd'hui que ce système, même s'il partait d'une bonne intention, même s'il est un progrès par rapport aux monarchies du 18ème, est encore très mauvais. Il conduit à une inflation importante des interventions collectives et nous rapproche peu à peu d'une économie socialiste avec ses défauts. Sur le plan des libertés individuelles, il comporte de nombreux dangers. Ceux qui n'ont pas voté pour Sarkozy doivent l'observer avec méfiance en se disant qu'il contrôlera bientôt les 2/3 de l'assemblée nationale et aura carte blanche pour nous imposer ce qu'il veut. Après un certain temps du régime de social-démocratie, on court le risque d'arriver à un régime totalitaire comme l'a très bien décrit F.A.Hayek dans La route de la servitude. Des régimes qui, je le note au passage, ont toujours été très favorables à la politique familiale...