13 juin 2007

Politique familiale (suite)

Après un premier billet sur le sujet, je vous livre deux questions, l'une économique, l'autre politique, au sujet des allocations familiales.

1) Qu'est-ce qui justifie le fait d'avoir une politique familiale?

Pour répondre, essayons d'appliquer la méthode de Henry Hazlitt dans "L'économie politique en une leçon". Comme l'indique son titre, il y a une seule leçon à retenir avant toutes les autres :

L'art de la politique économique consiste à ne pas considérer uniquement l'aspect immédiat d'un problème ou d'un acte, mais à envisager ses effets plus lointains ; il consiste essentiellement à considérer les conséquences que cette politique peut avoir, non seulement sur un groupe d'hommes ou d'intérêts donnés, mais sur tous les groupes existants.

Les femmes avec qui j'en ai parlé considèrent souvent que s'il n'y avait pas de politique familiale, une mère rencontrerait des difficultés (presque) insurmontables pour avoir des enfants. Si on liste quelques uns des problèmes en question, sans être exhaustif, on peut par exemple citer : le coût de la garde et de l'éducation d'un enfant, l'arbitrage vie familiale / carrière professionnelle, les risques en tous genres (divorce, chômage, handicap etc). La politique familiale, en déchargeant les parents - et en particulier les femmes - de ces difficultés, est censée leur permettre d'améliorer leur bien-être et d'avoir un nombre d'enfants plus proche de ce qu'elles désirent.

La politique familiale donne donc l'impression qu'elle fait disparaître les coûts liés à la décision d'avoir un enfant. Il n'en est rien évidemment, puisqu'elle consiste uniquement à reporter ce coût sur d'autres gens (on voit ici l'intérêt de la règle de Hazlitt). Or nos ressources ne tombent pas du ciel, elles doivent être créées, et si nous travaillons c'est justement pour produire ce dont nous avons besoin. La politique familiale en tant que telle ne crée rien, ne produit rien : elle déplace juste les ressources créées par d'autres. En prenant un peu à celui qui produit, pour donner à un autre, cette politique diminue l'incitation à produire. Pour donner un ordre de grandeur, la politique familiale pèse peut-être 3% du PIB, à comparer aux trois fonctions régaliennes police + justice + armée qui représentent au total un coût de 4%. Cette comparaison permet donc de se rendre compte que la politique familiale coûte cher, très cher! Si le fait d'avoir des enfants est un problème de ressources - temps, argent, etc - elle ne résout en rien ce problème puisqu'elle déplace les ressources existantes, mais elle n'en crée pas.

Quand je parle du "coût" d'avoir un enfant, c'est dans un sens très large. Il ne s'agit pas uniquement de l'aspect financier, car cela serait très réducteur pour une décision comme celle d'avoir un enfant. Au contraire, il faut entendre par "coût" : tout ce qui, si l'on prend la décision d'avoir un enfant, peut constituer un inconvénient, une gêne, un effort, un désagrément. Ce "coût" n'est donc pas quelque chose de mesurable objectivement - surtout en euros - car il correspond à la perception qu'en a la personne qui prend la décision. Seul un individu peut apprécier le "coût" subjectif d'avoir un enfant. Enfin, ce "coût" n'est pas certain : comme toute action humaine comporte des risques, le "coût" comprend une part d'incertitude, qui est bien prise en compte dans la perception de la mère. Ces trois caractéristiques : subjectif, non quantifiable, incertain, s'appliquent aussi au "gain" ou "plaisir" d'avoir un enfant, et même à toute action humaine (cf. L. von Mises).

Qu'est-ce que cela nous apprend au sujet de la mère qui veut avoir un enfant? D'abord qu'une politique décidée de façon bureaucratique est tout à fait inadaptée pour prendre en compte sa perception subjective de la situation. Pour certaines mères, avoir un enfant est une promenade de santé. Dans d'autres (rares) cas, la simple évocation de l'idée est un calvaire. L'administration est incapable de prendre en compte ces distinctions. Ce que l'administration sait faire c'est distribuer de l'argent, à des endroits plus ou moins utiles, et en quantité plus ou moins adaptée. Il n'y a aucun moyen de savoir si les bénéfices pour la mère compense les sacrifices consentis par ceux à qui on a pris cet argent. Il en résulte un gaspillage, un appauvrissement. Cet argument est très général et repose sur un principe simple : la distinction entre un échange volontaire - créateur de valeur subjective - et un transfert contraint et forcé.

Il y a aussi des choses très intéressantes à dire sur l'arbitrage vie familiale / vie professionnelle. Un enfant demande qu'on s'occupe de lui, qu'on le materne, qu'on le nourrisse, qu'on l'éduque, etc. Ce sont des activités comme les autres. Certaines femmes - et quelques hommes - exercent d'ailleurs ces activités de façon professionnelle : profs, puéricultrices, pédiatres, etc. Toutes ces activités sont consommatrices d'une des ressources les plus rares qui soient : le temps! Que cela nous plaise ou non, il faudra donc consacrer du temps à l'enfant. Deux solutions sont possibles : on peut le faire soi-même et arrêter temporairement de travailler, ou bien on peut continuer à travailler et payer quelqu'un pour le faire à notre place, comme c'était la coutume avec les nourrices au XIXème siècle. Je ne porte aucun jugement de valeur à ce sujet. Mais l'idée que l'on puisse faire l'économie de ce temps est une illusion. On le paiera soit sur son propre temps, soit sur son salaire. C'est là que réside le choix vie professionnelle / vie familiale. Il est de la responsabilité des parents de faire ce choix et d'en assumer les conséquences.

Evidemment, si on fait miroiter à une femme la possibilité d'avoir les deux, c'est-à-dire de consacrer du temps à son enfant sans aucune conséquence sur son salaire actuel et futur, elle dira OUI! tout de suite. Mais cela signifie juste qu'une autre femme - ou un homme - aura été privée de son temps à sa place. Qui peut imaginer une société où il serait possible de prendre des décisions en faisant supporter les inconvénients par les autres et en gardant les avantages pour soi? C'est pourquoi la politique familiale est dangereuse sur deux plans : elle consiste à sacrifier un individu au bénéfice d'un autre, et de plus elle rend partiellement irresponsable la personne qui prend la décision, ce qui augmente le nombre de mauvaises décisions qui sont prises. Cela aboutit notamment à avoir plus d'enfants que ce que les gens feraient spontanément si il n'y avait pas de politique familiale et qu'ils étaient responsables de leur décision. Ce reproche s'adresse à toute politique qui consiste à collectiviser les coûts alors que les bénéfices restent individualisés.

Reste la question des risques. Face aux incertitudes de la vie, il est parfois difficile de se décider à avoir un enfant. Qui sait si le couple qu'on a formé sera solide? Si d'autres difficultés ne feront pas tomber par terre les plans qu'on a échafaudés? C'est une des aptitudes les plus extraordinaires de l'esprit humain que d'être capable de tenir compte de l'incertitude et d'imaginer ces événements futurs avant de prendre une décision. Quelques esprits créatifs ont imaginé une solution : l'assurance contre les risques imprévisibles. Il n'y a rien de plus simple que de prendre une assurance au moment où l'on conçoit un enfant pour se prémunir contre les problèmes les plus graves. On le fait bien quand on prend une assurance neige pour la journée. Si on assure ses jambes au ski, pourquoi ne pourrait-on pas assurer un enfant à naître? C'est techniquement possible, et je suis sûr que certains assureurs privés y ont déjà pensé. Si il y a une demande, il y a un marché.

Cependant, certains risquent ne seront pas assurables, ou plus difficilement, car ils dépendent largement des décisions de l'assuré. On pourrait concevoir une assurance-divorce par exemple, mais l'assureur devrait prendre toutes sortes de précautions pour éviter ce qu'on appelle l'aléa moral. A cause de la politique familiale et sociale, l'assurance-divorce existe en partie, elle est obligatoire et fournie par l'Etat. En cas de divorce, la sécurité sociale, le fisc, et d'autres administrations, nous offrent toutes sortes de compensations financières. Du fait de cette politique sociale et familiale, l'aléa moral joue donc à plein, c'est-à-dire qu'en abaissant le coût du divorce, ou plus exactement en faisant supporter une partie de ce coût par les autres, et en empêchant l'assureur de sélectionner les risques, on incite plus de gens à divorcer.

J'ai essayé de démontrer que la politique familiale est une mauvaise idée - je devrais dire une fausse bonne idée. En résumé, mes arguments sont les suivants :

- la politique familiale ne résout pas le problème du manque de ressources, et peut même l'aggraver en diminuant les incitations à produire,

- elle ne permet pas de comparer l'utilité pour les bénéficiaires avec le coût pour les payeurs,

- en occultant la question de l'arbitrage vie professionnelle / vie familiale elle rend les parents partiellement irresponsables car elle reporte sur les autres une partie du coût de la décision d'avoir un enfant,

- elle n'apporte rien de plus qu'une assurance privée pour la gestion des risques, et comme elle est obligatoire elle accentue l'aléa moral

Mais certaines personnes sont pauvres, et ne pourraient pas se payer toutes ces prestations si la politique familiale n'existait pas. Vraiment? Si c'était le cas, on verrait donc les familles riches avoir plus d'enfants que les familles pauvres. Or c'est l'inverse qui se produit. Il faut rejeter toute explication du style "les familles riches sont mieux éduquées et savent contrôler leurs naissances". En disant cela, on est non seulement méprisant à l'égard des pauvres, mais on passe totalement à côté de la vraie explication. En l'occurrence, l'explication est que le coût d'un enfant est plus élevé pour un riche que pour un pauvre. Il s'agit du coût d'opportunité qui comprend toutes les alternatives auxquelles on renonce chaque fois que l'on fait un choix. En faisant un enfant, un riche renonce à un petit peu de carrière (très bien payée), un petit peu de loisirs (luxueux) etc. Le coût d'opportunité pour une mère pauvre est plus faible, car rester à la maison quelques mois pour s'occuper d'un enfant peut lui procurer des satisfactions qui valent plus à ses yeux que son petit salaire. En faisant un enfant, elle ne renonce pas à une carrière de cadre sup dans une banque, mais à un job de caissière ou de femme de ménage.

Mais, dira-t-on, certaines personnes sont trop pauvres pour se payer ce dont elles ont besoin. Certes, mais cela n'a rien à voir avec le fait d'avoir des enfants. Un pauvre est pauvre pour tout ce dont il a envie, et pas seulement les enfants. De plus, on pourrait montrer que ce sont très souvent les interventions de l'Etat qui rendent les gens pauvres. Plutôt que faire la charité - surtout via la politique familiale qui n'est pas faite pour cela (mais pourquoi est-elle faite, d'ailleurs?) - l'Etat aurait une contribution plus efficace s'il commençait par supprimer ses nombreuses interventions.

Cela donne un argument supplémentaire :
- l'Etat aggrave considérablement la pauvreté, il ne faut pas compter sur lui pour la diminuer, surtout pas via la politique familiale qui n'a rien à voir avec la pauvreté.

Bref, pour peu qu'on prenne le temps d'y réfléchir, il y a des arguments très forts contre la politique familiale. Selon moi elle est parfois inutile, parfois carrément néfaste, en tous cas jamais utile. Vous pouvez donc comprendre que personnellement j'y sois opposé. Mais peut-être que je ne vous ai pas convaincu. Après tout, vous avez parfaitement le droit d'avoir un avis différent du mien puisque chacun est libre de ses opinions. On aboutit alors à cette situation très fréquente où il y a des opinions variées et incompatibles sur un sujet.

Ma deuxième question est donc la suivante :

2) Qu'est-ce qui justifie que la majorité m'impose une politique familiale alors que je suis contre?

Nous sommes dans une situation où une majorité de gens sont favorables à la politique familiale. Les arguments économiques que j'ai donné en 1) n'y changent rien : soit les gens ne les connaissent pas, soit ils les réfutent. Ils souhaitent donc payer toute leur vie une cotisation à un "service public de la politique familiale" et recevoir des prestations si et quand ils en ont besoin. Même certaines personnes âgées qui n'auront plus d'enfants sont d'accord pour continuer à cotiser. De quel droit pourrais-je les empêcher de faire ce qu'ils veulent, alors que je défends la liberté individuelle? Bonne question qui nous amène sur le terrain de la philosophie politique.

Lorsqu'on les connaît mal, on peut avoir l'impression que les libéraux sont contre l'action collective et qu'ils privilégient l'individualisme et l'égoïsme. En un sens, c'est vrai. Mais justement, la plupart des individus souhaitent s'associer en groupes, parce qu'ils considèrent qu'il est de leur intérêt de le faire. Cette situation n'est pas l'exception, mais la règle! Cela fait partie de la nature humaine : nous aimons vivre et agir en groupe, pour des raisons affectives, ou des raisons d'efficacité pour produire ce dont nous avons besoin, ou pour toute autre raison. Il y a toutes sortes de groupes : l'entreprise, le club sportif, la famille, l'association, la mutuelle, la coopérative. Concernant la politique familiale, on pourrait par exemple imaginer que les personnes qui le souhaitent adhèrent à une assurance mutuelle qui leur fournirait les prestations familiales dont ils ont envie. Avec 80% de la population comme clients, ces mutuelles seraient florissantes.

Mais on répondra qu'il est trop difficile de créer une mutelle, et que cela n'arrivera jamais sans l'impulsion et la coordination de l'Etat. Pourtant, les mutuelles françaises ont été créées par des initiatives privées. En fait, la plupart des associations, entreprises, clubs qui existent sont des créations spontanées où l'Etat n'est pas intervenu. Le mode d'intervention de la politique familiale est différent : c'est l'action par la contrainte de l'Etat. Evidemment, il est très facile de créer une "mutuelle" si elle est autorisée à prélever ses cotisations par la force; c'est ce que fait l'Etat!

Le point important ici est qu'il ne faut donc pas confondre action collective et Etat. La plupart des entreprises collectives ont été menées de façon volontaire sans aucune contrainte. Mais les hommes politiques justifient souvent leurs actions en expliquant qu'il y a besoin d'une action collective pour atteindre tel ou tel objectif. Ils jouent ensuite sur la confusion entre collectif et politique, et affirment que leur action est indispensable. D'associations libres et volontaires on passe à des associations forcées dont l'individu est prisonnier puisqu'il est impossible de se soustraire aux décisions de l'Etat.

Tocqueville avait déjà identifié ce risque d'oppression de l'individu par les institutions politiques, qu'il appelait "tyrannie de la majorité". Un débat très ancien en philosophie politique consiste à se demander jusqu'où l'Etat peut aller dans la contrainte. Peut-il nous interdire d'agir comme bon nous semble lorsque nous sommes chez nous? Peut-il nous forcer à consommer tel ou tel produit, ou nous empêcher de consommer tel autre? Peut-il obliger les producteurs à respecter des normes qui ne sont pas demandées par les consommateurs? Peut-il décider de la façon dont nos enfants doivent être éduqués, au point qu'il détienne le quasi-monopole de l'éducation et de l'activité intellectuelle? Dans la plupart des démocraties occidentales, on n'a pas assez réfléchi à ces questions avant de mettre en place les institutions. On s'est contenté de remplacer la décision politique d'un roi par la décision politique d'un ou plusieurs élus. Mais le domaine d'intervention de l'Etat a trop peu de limites constitutionnelles. En Angleterre et aux Etats-Unis, c'est mieux puisque les Bills of rights, l'Habeas Corpus et les Amendments ont mis des barrières à l'action de l'Etat. Malgré cela, on voit que la tendance des institutions démocratiques, partout dans le monde, est à l'inflation de l'Etat, même dans les pays anglo-saxons.

Le petit graphique ci-dessous donne un indicateur parmi d'autres pour s'en rendre compte :

La dépense publique n'est qu'une partie du problème. Même sur les dépenses dites "privées", le contrôle de l'Etat est omniprésent : réglementations, contrôle des prix, incitations fiscales, normes, contrôles, etc. On pourrait croire que c'est un bon mécanisme : on vote, on décide "démocratiquement" de ce qui est "bon" et on applique la règle. Mais on sait aujourd'hui que ce système, même s'il partait d'une bonne intention, même s'il est un progrès par rapport aux monarchies du 18ème, est encore très mauvais. Il conduit à une inflation importante des interventions collectives et nous rapproche peu à peu d'une économie socialiste avec ses défauts. Sur le plan des libertés individuelles, il comporte de nombreux dangers. Ceux qui n'ont pas voté pour Sarkozy doivent l'observer avec méfiance en se disant qu'il contrôlera bientôt les 2/3 de l'assemblée nationale et aura carte blanche pour nous imposer ce qu'il veut. Après un certain temps du régime de social-démocratie, on court le risque d'arriver à un régime totalitaire comme l'a très bien décrit F.A.Hayek dans La route de la servitude. Des régimes qui, je le note au passage, ont toujours été très favorables à la politique familiale...

12 mai 2007

Livre : La mondialisation n'est pas coupable (P.Krugman)



Dans ce livre, Krugman fait un effort pédagogique salutaire pour s’attaquer aux théories « pop » du commerce international et leur cortège d'idées fausses : « compétitivité », concurrence entre pays, chômage, baisse des salaires, inégalités de revenus, balance commerciale etc. En excellent spécialiste du commerce international, il soutient que le protectionnisme est partout et toujours une mauvaise chose, motivée uniquement par des intérêts corporatistes et mesquins et non par « l’intérêt du pays ». Seule exception : dans certaines circonstances une hausse de la productivité dans un pays à bas salaires peut avoir un effet négatif sur certains salariés des pays riches (modèle de Lewis à trois produits). Mais c’est parce que cela va augmenter les salaires des pays pauvres et non le contraire ! En effet, la productivité augmentant, les salaires montent, et le prix de certains produits importés par les pays riches peuvent monter ce qui diminue les salaires réels pour certains salariés. Enfin, il n’y a pas besoin d’avoir un « avantage compétitif » absolu pour bénéficier du commerce international : la théorie des avantages comparatifs de Ricardo reste le principal outil d’analyse.

Nouvelles théories du commerce international : la spécialisation sectorielle des pays n’est pas forcément dûe aux avantages comparatifs. Même en l’absence de ces derniers, un pays peut évoluer vers une spécialisation auto-consolidante. Plus encore, les rendements croissants et la concurrence imparfaite semblent jouer un rôle important dans la spécialisation. En théorie, cela pourrait justifier une intervention de l’Etat qui serait Pareto-optimale. Une telle intervention, loin d’être une « arme » concurrentielle, pourrait améliorer la situation non seulement du pays considéré mais aussi des autres pays. Cependant, les incertitudes associées à cette démarche sont importantes et Krugman reste très prudent. De plus, il n’explique pas le mécanisme : comment des rendements croissants et une concurrence imparfaite justifient-ils une intervention de l’Etat ?

Enfin, il critique les changements successifs de point de vue des politiques :

- dans les années 1920 : laissez-faire et monnaie saine [hum... : la Fed avait été créée en 1913]

- dans les années 1940, sous l’influence du socialisme : dirigisme économique et contrôle monétaire

- dans les années 1970, suite à l’échec des politiques précédentes : libéralisation du marché des biens (laissez-faire microéconomique), mais politique macroéconomique de régulation monétaire keynésienne

- dans les années 1980 : de nouveau laissez-faire et monnaie saine (la « doctrine de Washington » promue par le FMI et la Banque Mondiale, également dénoncée par Stiglitz)

- dans les années 1990 : les tensions sur le SME avec la réunification de l’Allemagne montre les limites de cette politique

Points discutables dans le livre de Krugman :

- la libéralisation des biens et services entamée dans les années 1980 est loin d’être complète et n’a donc pas pu porter tous ses fruits, loin s’en faut

- plus encore, la notion de « monnaie saine » est un terme trop vague qui passe à côté de certaines différences fondamentales entre les années 1900 et aujourd’hui

Avant la création de la Fed et en-dehors des certaines interventions de politique monétaire, la monnaie était saine parce que libre et entièrement régie par le marché. Ce n’est pas le cas de la monnaie moderne, en particulier dans le SME, puisque les taux de change y sont artificiellement figés, d’où la hausse des taux qui provoque une récession en France au début des années 1990. Ceci est le résultat d’une intervention politique dans le marché de la monnaie, et pas du fonctionnement de ce marché lui-même. De même, la crise en Argentine démarre lorsque ce pays maintient l’indexation du peso sur le dollar alors que le Brésil voisin dévalue, au lieu de laisser flotter son taux de change comme l’a toujours recommandé un certain M.Friedman. Cette intervention gouvernementale dans la monnaie argentine est tout sauf un mécanisme de marché. Il est donc difficile de critiquer le modèle « laissez-faire, monnaie saine » sur la base de ce système comme le fait Krugman, puique ce n’est pas un système « laissez-faire, monnaie saine »..

07 février 2007

Une animation très réussie

Je vous recommande de prendre quelques minutes pour regarder cette très belle animation que Kerry Pearson a réalisée pour l'International Society of Individual Liberty afin d'expliquer leurs idées (VF ici).

Ensuite, il y a cette animation que je ne recommande pas, réalisée par je ne sais qui pour je ne sais quelle organisation (*). Au premier degré ça parle d'eau, mais quel est vraiment l'objectif des auteurs? Il est intéressant de la regarder après la précédente, car ce type de message correspond entre autres à ce que dénoncent les libertariens.

(*) Si quelqu'un trouve d'où vient ce truc, merci de poster un commentaire.

06 janvier 2007

Les allocations familiales sont immorales

Merci à SM d’Econoclaste d’avoir déniché cet article qui m’a donné envie d’écrire ce qui suit. Il s’agit d’un commentaire des nouvelles mesures de politique familiale allemande entrées en vigueur le 1er janvier 2007. Le taux de fécondité est actuellement de 1,3 enfant par femme outre Rhin, ce qui suscite des craintes de déclin démographique et d’effondrement du système de retraites par répartition. En Allemagne, les allocations familiales sont beaucoup moins généreuses qu’en France, et le nombre de crèches est faible ce qui explique probablement qu'un grand nombre de jeunes mères restent à la maison. De manière générale, la dépense publique allemande en faveur de la natalité est plus faible que chez nous. Observant qu’en France le taux de fécondité est de 1,9 enfant par femme, le gouvernement de A.Merkel a décidé de mettre en place des allocations plus incitatives à partir du 1er janvier 2007. Cette mesure semble efficace, puisque l’article cité plus haut raconte de façon anecdotique que certaines femmes ont tenté de retarder la date de leur accouchement jusqu’au 1er janvier afin de bénéficier de la hausse des allocations.

A ce stade, on peut déjà faire deux constats :
- la dépense publique globale de la politique familiale française est massive (de l’ordre de XXX Md€ – plus de 50 Md€ je crois – rien qu’en comptant les allocations familiales, le quotient familial, et les crèches municipales qui sont des dépenses visant exclusivement la famille) ;
- les études montrent que les politiques familiales sont efficaces, c’est-à-dire qu’elles modifient de façon très significative le comportement des gens en matière de procréation, et l’anecdote de la mesure allemande entrant en vigueur le 1er janvier ne fait que le confirmer.

Reste maintenant à poser une question que l’on se pose (trop) rarement : est-il légitime d’encourager les gens à faire des enfants ? Autant vous donner tout de suite ma réponse : c’est un non catégorique, et je m’en vais de ce pas justifier cette affirmation.

Il y a de nombreuses justifications possibles de la politique familiale. J’en liste ici quelques-unes pour mieux montrer en quoi aucune d’elle ne justifie une intervention publique :
- faire des enfants est une bonne chose, rend les gens heureux, et l’intervention de l’Etat dans ce domaine augmente notre bien-être ;
- un enfant coûte cher, ce qui fait que les pauvres sont pénalisés dans leur désir d’enfants par rapport aux riches ;
- il est nécessaire pour le bien de la France d’assurer le renouvellement des générations et d’éviter tout déclin démographique comme en Allemagne ;
- toute baisse ou ralentissement démographique mettrait en danger notre système de retraites par répartition (entre autres), et la solidarité entre générations ;
- s’il y avait moins d’enfants, les pédophiles auraient plus de difficultés à trouver des victimes.

J’espère que vous trouvez choquant le dernier argument, c’est pour cela que je l’ai donné. Il s’agit justement de montrer que, malgré les apparences, certaines justifications qui nous paraissent bénignes ne sont en réalité pas différentes de la dernière. Si vous êtes convaincu de cette ressemblance, vous serez sans doute d’accord qu’il est immoral d’inciter les gens à faire des enfants au bénéfice des pédophiles, tout comme il est immoral de les y inciter pour toutes les autres raisons.

Imaginons qu’un pédophile cherche à payer une mère afin qu’elle porte un enfant qui deviendra sa victime. Toutes les mères seront révulsées à cette idée, et la plupart refuseront. Mais dans la mesure où le prix payé par le pédophile est la contrepartie de la souffrance de la mère, il arrivera à en convaincre quelques-unes moyennant un prix suffisamment élevé. Ce type de crime parental odieux existe avec différentes variantes (prostitution, esclavage infantile, etc.), ce qui montre que l’exemple n’est pas aussi théorique qu’il en a l’air. Ce qu’il faut retenir de l’exemple du pédophile est qu’il constitue un échange entre lui et la future mère : du plaisir contre de l’argent pour lui ; de l’argent contre de la souffrance pour elle. Ce que je n’ai pas dit, c’est que notre pédophile ne veut en aucun cas user de la contrainte avec la mère. La transaction se fait donc avec le consentement des deux parties, à un prix tel que chacun y trouve son avantage. Qu’en est-il pour l’enfant ? C’est un être innocent qui va naître pour souffrir, et rien ne viendra atténuer sa souffrance. Comme tout esclave ou tout enfant prostitué, il va endurer les pires sévices sans avoir donné son consentement et sans aucune forme de contrepartie.

Si vous avez tenu le coup jusqu’ici, vous avez compris où je voulais en venir : A et B font un échange mutuellement bénéfique, tandis que C qui est placé sous la responsabilité de B donne à A sans contrepartie. C’est exactement ainsi que l’on justifie parfois les allocations familiales : les cotisants du système de retraite paient des mères pour les inciter à faire des enfants qui paieront leur retraite. Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe dans les société traditionnelles, où les gens comptent sur leurs enfants pour s’occuper d’eux pendant leurs vieux jours. En effet, ce schéma traditionnel est une forme d’échange équilibrée entre les parents et les enfants. Les parents s’occupent de leur progéniture, qui en retour les nourrit une fois qu’ils sont vieux. Des parents indignes qui battraient leurs enfants courent ainsi le risque d’être abandonnés plus tard par leurs enfants, et supportent donc les conséquences de leurs actes, ce qui les responsabilise. Une autre forme d’échange est rendue possible par l’héritage, car dans les sociétés où le futur défunt peut disposer librement de son bien, il peut attribuer la succession aux enfants ou aux personnes de son choix qui se seront occupé de lui pendant ses derniers moments. Ce sont des échanges consentis entre un adulte et un enfant, mutuellement bénéfiques, et qui n’ont donc rien à voir avec l’exemple du pédophile ou des retraites. A l’inverse, ces deux derniers comportements ont en commun l’absence de consentement : les cotisations retraites doivent être prélevées par la contrainte, et certaines personnes tentent sans succès de s’y soustraire, et les enfants ne peuvent pas donner leur consentement au pédophile en raison de leur immaturité, ce qui caractérise bien un vice (sic) de consentement.

Les autres justifications de la politique familiale citées plus haut peuvent être écartées assez rapidement. Si le fait d’avoir des enfants rend les gens heureux, il n’y a aucun besoin que l’Etat les y incite, sinon il devrait aussi diriger nos autres activités hédoniques. De plus, il y a des gens qui, quoi qu’on en pense, n’aiment pas les enfants, et qu’une telle politique pénalise. En clair, dans nos sociétés, les célibataires sans enfants sont culpabilisés par un impôt punitif. Cette idée était poussée à son comble sous Vichy, puisqu’un couple qui n’avait pas d’enfant dans ses deux premières années de mariage se voyait retirer l’avantage fiscal du mariage. Pour ce qui est des pauvres, et du fait qu’un enfant coûte cher, la réponse est apportée par une observation simple : ce ne sont pas les couples les plus pauvres qui ont le moins d’enfants mais les plus riches. On explique généralement ce phénomène par le fait qu’un riche se prive d’un salaire élevé en ayant un enfant et dépensera plus pour l’élever, tandis que le coût d’opportunité pour un pauvre est plus faible. Une politique familiale qui viserait à compenser les inégalités de revenus devrait donc aider les riches à supporter financièrement le coût de leur enfant. Les pauvres manquent d'argent pour toutes sortes de choses et pas seulement faire des enfants et il est injuste de leur donner des allocations à condition qu'ils aient des enfants. Si on se préoccupe du bien-être des pauvres, il vaut mieux leur donner de l'argent qu'ils pourront utiliser comme bon leur semble. Quant au déclin démographique, c’est un lieu commun qui n’a aucun fondement. Lorsqu’un grand malheur comme une guerre ou une épidémie s’abat sur une nation, sa population peut diminuer, ce qui nous fait confondre malheur et baisse démographique. Mais ce n’est pas la baisse démographique qui engendre le malheur. Sans être malthusien, on peut même voir qu’elle a certains avantages : plus de place, plus de ressources, un environnement moins pollué, et au final un bien-être qui s’améliore ou en tout cas qui ne diminue pas.

Je ne prétends pas que la liste des justifications avancées ici est exhaustive. Si vous voyez d’autres arguments en faveur de la politique familiale, vos commentaires sont les bienvenus. Mais au vu de ce qui précède, les principaux arguments en faveur d’une politique familiale sont de nature économique. C’est d’ailleurs ce que nous disent les chiffres, car nos dépenses familiales sont absolument considérables : si XXX Md€ ne sont pas une intervention à visée économique, qu’est-ce qui l’est ? C’est aussi le principal argument avancé par les Allemands pour la mise en place au 1er janvier de nouvelles allocations. C’est enfin une idée généralement acceptée que si un pays a trop d’enfants – comme en Afrique – il se porte moins bien, de même que s’il en a trop peu – comme l’Allemagne –, et qu’il faut donc tendre au renouvellement des générations. Or non seulement ce sont de mauvaises raisons, mais elles ne justifient en rien une intervention publique. Une telle intervention consiste à imposer à toute la population un choix arbitraire au lieu de laisser les gens prendre leur décision à titre privé.

Si un couple est inquiet pour sa retraite, et veut plus d’enfants pour assurer ses vieux jours, il peut assumer ses responsabilités et avoir un enfant. L’échange entre parents et enfants aura lieu entre parties consentantes et responsables, et sera équilibré contrairement au schéma A-B-C décrit ci-dessus. Maintenant examinons le scénario suivant : M. et Mme Dupont veulent s'acheter une voiture, et pour cela ils doivent soit réduire le reste de leur consommation, soit entamer leurs économies. Ne souhaitant faire ni l'un ni l'autre, ils font un enfant et trouvent le moyen de l'endetter à la naissance afin qu'il rembourse plus tard leur achat. Ou, ce qui revient au même, ils cassent leur plan d'épargne retraite pour s'acheter un bolide, et font en sorte que leur enfant s'occupe de leur retraite. Cet exemple est volontairement caricatural, mais il montre bien le dilemme. Comme dirait un biologiste, il y a un conflit d'intérêt entre les parents et les enfants sur la taille optimale de la couvée. Encore les Dupont sont-ils responsables de la décision qu'ils prennent pour leur propre enfant. Mais les politiques familiales publiques sont une incitation par laquelle l’Etat utilise les impôts de tous les cotisants (A) afin d’encourager tous les Dupont (B) à avoir des enfants (C). Les cotisants A bénéficient de cette politique puisqu’ils peuvent ainsi accroître leur consommation et/ou leur retraite en contrepartie d'un impôt. Les parents B ne perdent pas au change, puisque la charge marginale que représente pour eux le fait d’élever des enfants supplémentaires est exactement compensée par les allocations. En revanche, les enfants C sont les grands perdants de l’opération, puisqu’ils plus tard ils devront donner à A sous la contrainte, sans aucune contrepartie ni consentement. Comme dans l’exemple du pédophile, une telle politique ne respecte pas les droits des êtres humains qui vont naître.